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Mon souvenir : Sylvain Lelièvre

Oui, il aurait eu 80 ans cette année, l’an passé soulignait-on fort élégamment le 20e anniversaire de son décès.

Mais de quoi je me mêle? Je n’ai été ni une amie ni eu le bonheur d’être une élève. Seulement une brève connaissance professionnelle : tout comme lui, j’étais parmi les invité(e)s surprise pour l’anniversaire de Jacques Boulanger, le 30 mai 1985 — j’ai su bien des années plus tard par sa chef recherchiste, Evelyn Mailhot, que j’étais une « invitée chouchou »! Comme l’événement se déroulait dans un tourbillon et en direct, je n’ai même pas le souvenir d’avoir eu une discussion avec Sylvain. C’est pour dire…

Je l’ai revu plus tard lors d’une émission à TVA où il était invité avec son amie Danielle Oddera. Moi, j’accompagnais simplement en coulisse un ami qui connaissait Clairette, probablement l’invitée principale. Voyez comme c’est flou! Or, Sylvain avait semblé heureux de me revoir, moi, intimidée, ne me sentant guère à ma place…

Le temps passe, la/ma vie m’a fait écrire. Un état tout à fait improbable, n’ayant jusque-là écrit que des demandes de bourses et autres communications professionnelles dans le but de faire mon métier de chanteuse lyrique.
Le chant classique nous expose à la grande poésie, et ce, en plusieurs langues. Matériel de récital avec lequel je me suis spécialisée. Ainsi, c’est spontanément à la verticale que j’écrivais, sans être pour autant de la poésie. Par contre, le sens était clair et bien organisé.

J’avais eu beau suivre un cours de poésie « érotique » (pourquoi pas!), c’est toujours Sylvain que je lorgnais. Je m’étais inscrite à l’Atelier F, où il avait été invité pour des ateliers un à un, donc en privé. Je n’avais pas d’antécédents raisonnables pour justifier ma candidature. En plus, une « chanteuse d’opéra »!? Voyons donc, c’est pas sérieux! On avait probablement encore jamais vu ça, une chanteuse classique sortir de son moule empesé (ça l’était absolument à l’époque), alors que j’avais déjà fait la preuve qu’on pouvait offrir bien autre chose que ce cliché — une nouvelle génération semble vouloir, enfin, en sortir.

J’ai écouté religieusement cette magnifique série réalisée par Élizabeth Gagnon où l’on parlait de Sylvain comme une personne fidèle en amitié, d’une personne généreuse. C’est au même moment que j’ai compris pourquoi il avait été invité chez Boubou : des amis de très longue date.

Je corrobore ces témoignages, puisque Sylvain aurait tellement pu m’ignorer : j’ai eu le culot de lui envoyer par la poste mes 10 premiers textes. Il m’a rapidement téléphonée pour me dire à quel point il se sentait honoré de cette confiance. C’est alors qu’il me fait la confidence et le compliment : « Je m’étais dit que si je me décidais un jour à prendre des leçons de chant, c’est avec toi »! ( en avait-il vraiment besoin?!) À quoi j’ai répliqué que c’est plutôt à moi qu’il fait tant honneur!

Ses commentaires : ils sont dans un bien meilleur français que ce qu’on entend en ce moment (nous étions automne 1994), et qu’ils sont mieux écrits que XX — vedette québécoise chez les Français.
Cependant, il me fait le doux reproche que cela ressemble beaucoup à un journal intime. Ce qui sous-entendait qu’il valait mieux ne pas aller dans cette direction.
(Ce qu’il faut savoir : je revenais régulièrement à la chanson, mes premières amours…)

Qu’à cela ne tienne, je devais poursuivre, j’étais dans une belle lancée. Je ne l’ai donc pas écouté… parce que, petit à petit, un projet prenait forme, se concrétisait pour aboutir dans une « mise en abyme » et devenir un « Opéra-Chansons ». Mais pour y arriver, je souhaitais sérieusement le relancer. Le destin en a décidé autrement…

Entre-temps, j’ai soumis mes textes à un compositeur de jazz connu, accompagnateur de chanteuses de renom. Il me les a retournés, gêné… C’est là que je me suis mise spontanément à écrire mes musiques, ce qui était tout autant imprévisible. Et le résultat est des plus étonnants, vu la variété de tons et de styles ainsi que de leur complexité formelle.

La raison de ce billet? C’est là que je rejoins Sylvain : une oeuvre qui n’est pas standardisée, dans un seul et unique style — ce qu’on peut trop souvent constater ailleurs…

Loin de moi de m’improviser critique musicale, mais Sylvain a produit une oeuvre dense, authentique et des plus singulières. Comme lui, j’aime les « accords fuckés ». Aucune de ses chansons ne se ressemble, sa palette créatrice était d’une grande richesse et sans bornes. À l’instar des Beatles…

Parce que non populiste sans être élitiste, il n’était pas « populaire ». Il s’est respecté dans sa volonté de ne pas se plier aux dictats de la mode, encore moins de jouer la game.

Il m’a pris 20 ans pour aboutir d’abord à un album, la trame principale du projet scène, celui-là complété par d’autres opus. À un moment donné, il faut cesser de s’en remettre à autrui. J’avais eu peur du ridicule et du jugement…

Que dirait-il aujourd’hui de ce journal intime quand, maintenant, les jeunes femmes jouent de beaucoup plus d’audace dans l’intimité de leurs textes, souvent très explicites? Dire que je m’étais même censurée…
Monique Leyrac avait déjà fait la remarque suivante : on ne chante plus de poésie, on ne fait plus que du « je-me-moi ». Ce n’est « plus que » cela de nos jours…

Ce n’était pas son cas. Il demeure l’un de nos plus grands, aux textes et musiques. Il était temps qu’on le reconnaisse.

Salut, Sylvain!

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Pourtant, bien avant le « Pacte »…

Un certain théâtre est habitué de faire avec les moyens du bord. Il n’est pas nouveau non plus que le matériau récupéré soit au coeur de l’oeuvre sculpturale; c’est bien là la marque de commerce d’Armand Vaillancourt — je peux témoigner pour avoir longtemps vécu à quelques mètres de sa « cour à scrap ».

Mais promouvoir, en 2014, un opéra en affichant les couleurs de la récupération aurait eu l’heur d’être jugé « petit pauvre ». Ce qui le faire aujourd’hui risquerait-il plutôt d’être taxé d’opportunisme? Or, peu de moyens oblige…  Par contre, le contexte sait parfois s’y prêter à dessein.

Tel fut le cas au moment de préparer la création de mon projet L’« Opéra-Chansons » WXYZ… Code secret qui eut enfin lieu en mai de cette même année, et ce, à compte d’auteur, tant le cd (trame principale) que le spectacle-total.

Il faut savoir que ce n’est pas dans la culture des subventionneurs d’encourager le recyclage : les budgets doivent être justifiés sur du neuf. Alors, une fois terminé, on jette… parfois on réussira à trouver preneur lors de ventes appropriées. 

Opéra au sujet universel et toujours d’actualité, j’ai préféré que le public se fasse sa propre idée des « codes secrets » intégrés dans ces chansons et se les approprie. J’avais ainsi opté pour ne pas diriger son écoute en racontant leur genèse (sauf récemment pour Errance, le contexte alors s’y prêtant), même si chaque chanson a son histoire et qu’ensemble elles n’en font qu’une; mise en abyme.

À moins que les spectateurs aient vu La Belle… et les bêtes, un zoopéra ou bien Èva Gauthier, Pionnière du Chant Moderne en Amérique ou… « la Javanaise », il ne peut se douter que 90 % des matériaux de scénographie et de costumes proviennent de ces deux spectacles ou encore de biens personnels. Parce que là aussi, « codes secrets ».

Permettez que je m’abstienne d’énumérer et de décrire la provenance de ces éléments, que vous pourriez entrevoir dans le vidéo d’archives ci-joint. Je préfère conserver un peu de mystère à ce qu’on ose appeler une création.

Comme rien ne se perd, rien ne se crée…

Photo Michel Parent

Flashback

Photo Michel Parent

La Panne

Photo Michel Parent

Le Trophée

Errance, la genèse

Au départ, je n’avais pas l’intention de raconter les histoires derrière ce qui constitue mon « Opéra-Chansons » WXYZ… Code secret, bien que cette oeuvre soit une sorte de mise en abyme.

Mais comme je présenterai celle-ci, entre autres, dans le cadre de Show de femmes au Balattou, le 15 novembre (2018), c’est en raison de ce lieu qu’il devient maintenant pertinent pour moi de raconter.

À l’exception d’une ou deux pièces de ce projet, lequel aura pris vingt ans à voir le jour, elles ont toutes été écrites alors que j’habitais au 4372, rue Clark, coin Marianne. C’est-à-dire carrément derrière le Balatou et ce qui fut le Bobards, endroit longtemps à la mode situé St-Laurent/Marianne.

Timide et solitaire, ayant un rapport avec la séduction plutôt incertain, je n’entrais jamais dans ces meat market. Même que, pour le Balatou, j’avais, oui, des préjugés; malaises…

À l’époque, sans doute encore aujourd’hui, la faune de ce quartier variait selon le bout de rue, le jour de la semaine et l’heure de la journée où on y circule. Et je parle du temps où la vie commerciale de la rue Mont-Royal ne s’étendait guère que de St-Laurent à St-Denis…

En soirée, je sortais de chez moi, déambulais, arpentais Mont-Royal-St-Denis-Prince-Arthur-St-Laurent. Selon mon humeur, j’extrapolais vers le Parc Jeanne-Mance et la rue Sherbrooke. Pas toujours une bonne idée… se faire suivre est plutôt affolant…

Enfin je rentrais chez moi…

Un samedi soir — j’avais écrit Errance depuis quelques mois déjà –, devant le Balattou une dame m’interpelle. Les yeux cernés, l’air hagard, au lieu de pénétrer tout de suite dans cette salle — j’y serais allée volontiers avec quelqu’un –, je l’invite d’abord à partager la balade avec moi puis d’aller prendre un verre là où ça lui tenterait.

Une fois rendues Mont-Royal/St-Denis, je lui propose de marcher un peu plus vers l’est, qui tente de se développer. Refus. Nous descendons alors la rue St-Denis. À Rachel, au moment de lui suggérer une halte, la peur au ventre, elle décide de rentrer chez elle et mettre son pyjama… Une fois moi-même de retour à la maison, je lui dédie ma chanson : à toutes les « Johanne ».

Une chanson, un opéra, ça ne dit pas tout…