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Photo: Michel Parent

On aura beau dire…

Artistes de la scène que nous sommes, nous faisons régulièrement dire pas les médias ou autres décideurs (agents, producteurs, diffuseurs) qui ont droit de vie ou de mort de notre sort, que c’est le public qui a toujours le dernier mot.
Soit.
Encore faut-il que ce public sache, sache que l’on existe.
Quand on se fait dire, encore, qu’il faut donner au public ce qu’il veut, ce qu’il demande mais qu’on le met totalement dans l’ignorance — oui, je sais, l’offre est énorme — de certains types de « produits » (on nous oblige à être un produit parce que « industrie »), il est entendu qu’on appelle ça « niveler par le bas ».
Combien de fois ai-je entendu, de la part de certains diffuseurs, « Je connais mon public… » Je me demande bien sur quelle base on est jugé…
Certains spectacles de danse et la majeure partie des productions en musique contemporaine et alternative, dans les 3 cas « full » subventionnés, sont pas mal moins accessibles que les modestes productions que j’ai eu le bonheur, oui, le bonheur, de créer depuis la fin des années’80.
Or, je ne suis jamais tombée dans la facilité, j’ai toujours tenté d’éviter les clichés : j’ai eu beau avoir fait métier en tant qu’artiste lyrique, aucun, mais AUCUN de mes spectacles ne contenait d’airs d’opéra. Uniquement un matériau qui ne se prêtait pas d’emblée au théâtre mais que j’ai eu l’audace, oui, l’AUDACE d’en faire un objet vivant et ludique, sans être un objet humoristique pour autant.

Le public aurait donc le dernier mot. Dans mon cas, je pourrais dire qu’auprès de celui qui a « fréquenté », ou plutôt assisté à mes diverses productions, c’est réussi, accompli. « Mon » public, comme disait l’autre, a toujours aimé et apprécié ce que je proposais, en offrant les choses sous un angle différent. Avec moultes recherches, d’ailleurs, ce pour quoi j’ai été largement félicitée, ne me contentant jamais du réchauffé ad nauseam.

Je lui en demanderais beaucoup, à ce qu’il paraît, au public. Je fais confiance en son intelligence : la façon dont je lui propose mes projets, à défaut d’en connaître le contenu pièce par pièce, il peut suivre aisément puisque cela lui est présenté pour faciliter la tâche, malgré tout — je n’ai jamais prétendu révolutionner le genre. Et, considérant certaines présences, récemment, je suis même étonnée, plutôt agréablement, même, de voir que j’ai rejoint « intimement » des personnes qui n’étaient absolument pas du tout familières avec mon contenu.

Leur imagination et leur sensibilité ont fait le reste.

Ainsi, savoir que j’aurai touché à ce point les quelques personnes qui ont eu le courage de se présenter à ma dernière création, qui, celle-là, était une création à l’état pure puisqu’une œuvre originale, en mots et musiques, en scénario, scénographie, costume comme en mise en scène. Une femme-orchestre, dirait-on.
Pourtant, Dieu sait que je n’aime pas « jouer » à la productrice. Mais, des fois, faut ce qu’il faut…

Alors, comment ne pas se sentir concernée, à la limite outrée, voire insultée, d’entendre des affirmations telles que diffusées l’autre dimanche matin (8 juin), à la radio, par la chroniqueuse culturelle en titre, et je cite : « (…) Faire du stand-up-comic, du monologue humoristique seul sur scène, ça me semble être une des choses les plus difficiles à faire au monde. T’as pas d’effets spéciaux, t’as pas d’autres comédiens qui viennent t’appuyer, t’as pas de scénario ou des personnages derrière lesquels te cacher quand tu fais vraiment du monologue en ton nom; il n’y a que toi, ton corps, ta voix, tes gestes, ton texte pour faire rire ton public pendant 1h30. Ça me semble très courageux. (…) Il y a des gens qui ont l’appel de l’humour, adolescents, qui se dirigent vers l’École nationale de l’humour, d’autres qui ont cet appel-là beaucoup plus tard. C’est le cas de (…) qui a une carrière de comédienne enviable (…) Financièrement, ça va bien, professionnellement, ça va bien et c’est à ce moment-là qu’elle prend le plus gros risque de sa carrière, celui de devenir humoriste et de lancer son premier One-woman-show de sa vie. Elle a 45 ans (…) et elle se lance dans le stand-up-comic. Elle a, je trouve, beaucoup, beaucoup de courage, parce qu’il faut qu’elle aille affronter un public qui l’aime déjà mais qui ne la connaît pas comme ça (…) » CP.

Quand on connaît la part de marché de l’humour vs tout le reste de « l’industrie culturelle », on ne part pas à armes égales. Quand on sait à quel point cette comédienne ne semble vraiment pas avoir de souci financier, considérant les nombreuses séries télé à succès dans lesquelles elle a œuvré, je ne sais pas vraiment où il est, le risque !
Que cela prenne du courage, certes. Je ne dirai jamais qu’elle ne mérite pas ses succès et celui à venir. Mais quand on sait que les humoristes, à défaut d’écrire leurs textes eux-mêmes, ont tous une équipe de scripteurs, un metteur en scène et toute une équipe de production qui va avec, et relationniste en prime, je regrette, madame P., si, elle (chroniqueuse) avait eu le courage de se présenter à mon spectacle — elle a reçu mon album comme tous les journalistes-chroniqueurs-réalisateurs(radio-télé-presse), elle a reçu mon invitation, comme toutes ces mêmes personnes, et, comme eux tous, a ignoré et disque et spectacle (à part celui qui s’est excusé) — si elle l’avait vu, donc, mon spectacle, une performance, soit dit en passant, elle aurait nuancé ses propos.

L’argent, c’est le nerf de la guerre : si je n’avais pas eu cette résidence et cette commandite de la part du Bain Mathieu, considérant les heures en salle dont j’avais besoin (rien que le montage et démontage de ma micro-scénographie, dont j’avais absolument besoin pour travailler, parce que seule, cela nécessitait pas moins de 3 heures; je n’avais pas encore répété…), cette aventure aurait été tout simplement impossible à réaliser.

Aucune bourse. Aucune subvention disponible. Mon argent ? Quel argent ? Celui, que je n’ai donc pas. J’avais ce projet que je devais mettre à terme. Coûte que coûte. Ou presque.
Ainsi, j’ai donc dû renoncer aux services d’une relationniste, laquelle, j’en suis persuadée, aurait fait tout en son pouvoir pour faire déplacer tout ce « beau » monde. Et le public, par ricochet.
J’ai pris le risque de me contenter de faire ces relations de presse « à la mitaine », donc à l’interne (on a beau nous encourager et nous instruire à les faire nous-mêmes, n’en demeure pas moins que ça fait pas mal amateur !) et me contenter aussi de mes maigres relations personnelles, des médias sociaux et de l’affichage — c’est grâce à cette magnifique affiche qu’une personne présente à ma dernière m’a dit ceci : « Ça fait des années que je te cherche, toi ! » Bouleversant !
Décision : je m’endette, je me ruine, ou pas ?
J’ai pris le risque de me ruiner… à moindres frais !

Mais pour en revenir aux affirmations de madame P., ce sont MES propos, MES mots, MON histoire, en MON nom, totalement et singulièrement. Je me suis jetée dans le vide. Absolument. Sans filet aucun. Seule sur scène. Sans accompagnateur. 90 minutes pleines. À chanter et bouger de tout mon corps, de toute mon âme, de toute ma voix, dans toute son étendue, toute en douceur comme à pleine voix, et, du reste, sans microphone.

Je ne suis pas amère parce que j’avais déjà assumé ce risque. Mais je sais d’avance que cette même madame P. se ruera dans quelques jours, comme tous les autres, d’ailleurs, à cette comédie musicale, par définition tout à fait accessible, sur apparemment le même sujet que celui de mon « Opéra-Chansons », lui, mijoté pendant si longtemps, mais comédie musicale, donc, qui met en vedette le retour d’une chanteuse glamour, ce que je ne suis pas. Parce que la « game »…

Des commentaires ont paru (d’autres restent à venir) sur cette plateforme. Provenant du public « seulement ». Mais, quels commentaires !
Ce public aura-t-il donc eu raison ?

Merci de m’avoir lue jusqu’au bout.

PS : On comprendra qu’il y avait lieu de ne pas nommer, même si reconnaissable…

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